MONSIEUR LE COMTE

C’est un bel après-midi de printemps :

L’ombre joue avec la lumière, beauté infinie.

Pourtant, je m’ennuie. Je sommeille, je rêvasse devant mon château, tandis que mon épouse prend le thé chez une châtelaine du voisinage

Assis confortablement sur mon fauteuil en osier préféré, je laisse aller mes pensées.

Moi, comte Henri de Toulouse-Lautrec, je m’ennuie.

J’aurai pu être un grand peintre, comme Van Gogh, Renoir, Degas.

Mais non, je suis trop paresseux.

La vie me fut trop facile.

Mon père, Alphonse Charles Monfa, sentant sa mort venir, me fit une révélation :

Ancien officier anticonformiste, adepte de la chasse et passionné de chevaux,

II était fiancé à sa cousine, Adèle de Celeyran ; celle-ci rompit ses fiançailles

Huit jours avant le mariage, lui disant :

-Nous sommes trop proches parents, nos enfants pourraient naître malformés, malades,

Séparons-nous tendrement, mon ami.

J’ai peut-être échappé à une maladie qui m’eût handicapé.

Le destin est curieux.

J’aurai pu être doué, malheureux et passionné comme Vincent Van Gogh.

Riche héritier, j’ai travaillé dessin et peinture avec mon maitre , l’admirable Degas.

J’ai fréquenté quelques peintres de Montmartre, tels Gauguin et Renoir.

Mes amis m’ont entraîné aux Folies Bergères, Je fus fasciné,

 L’envie me vint de dessiner les artistes, la Goulue, par exemple.

 Je me lassai vite, je ne saurai dire pourquoi. Alors, partir…

Ma famille ayant des attaches en Angleterre,

je fis quelques séjours à Londres et me liai d’amitié avec Oscar Wilde ,

un homme délicieux que j’aidai dans sa traversée du désert .

C’est un bel après-midi de printemps.

Une lingère passe devant moi, l’air coquin.

Et si je l’entraînai dans les combles ou dans les fourrés pour me distraire …

Ou je pourrai entrer en Politique,

Je serai plutôt anarchiste :

Tirer sur un archiduc, par exemple,

Serait une façon de finir en beauté !