LES LETTRES S ANIMENT
Pierre, l’héritier du baron de Segonzac vient jeter un œil dans le merveilleux fouillis du cabinet de curiosités. Il admire la dague du Magnifique que son ancêtre aimait tant .
Ii découvre tout proche de la dague un boîtier incrusté de nacre ;
Il contient des caractères d’imprimerie ciselés délicatement.
Un document y est joint avec une ’inscription énigmatique :
« Les nuits de Pleine Lune, les lettres s’animent à la gloire des grands poètes, chanteurs, acteurs. »
C’est une nuit de pleine lune, Pierre se glisse dans le cabinet de curiosités, regarde, écoute…
Le A avec Arletty se tortille et s’écrit :
Atmosphère, Atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?
Le B de Brassens entame :
Elle est à toi, cette chanson,
Toi, l'Auvergnat qui, sans façon,
M'as donné quatre bouts de bois
Quand, dans ma vie, il faisait froid,
Toi qui m'as donné du feu quand
Les croquantes et les croquants,
Tous les gens bien intentionnés,
M'avaient fermé la porte au nez…
Ce n'était rien qu'un feu de bois,
Mais il m'avait chauffé le corps,
Et dans mon âme il brûle encor’
A la manier' d'un feu de joi’.
Toi, l'Auvergnat quand tu mourras,
Quand le croqu'-mort t'emportera,
Qu'il te conduise, à travers ciel,
Au Père éternel.
Le V de Paul Valéry compte les pas
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.
Personne pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
A l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n'était que vos pas.
Le J se dresse comme une flamme, Juliette s’enflamme
J'avoue j'en ai bavé pas vous
Mon amour
Avant d'avoir eu vent de vous
Mon amour
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le V avec Paul Verlaine, s’offre à l’aimée
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.
Le A avec Apollinaire rêve à Lou
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Le M enlace le L : Moustaki chante la Liberté
Ma liberté,
Longtemps je t'ai gardée
Comme une perle rare
Ma liberté
C'est toi qui m'a aidé
A larguer les amarres
Pour aller n'importe où
Pour aller jusqu'au bout
Des chemins de fortune
Pour cueillir en rêvant
Une rose des vents
Sur un rayon de lune
Toutes les lettres reprennent en chœur ce chant de liberté .
Pierre de Segonzac est troublé, il se retire discrètement, mais
Il reviendra à la prochaine pleine lune.